vendredi 8 avril 2016

DIAEA DORSATA. UNE RENCONTRE INSOLITE


Mon citronnier est fleuri. A la tombée du jour, j’aime à me pencher vers la corolle de cette fleur délicate pour humer son parfum capiteux. Ses cinq pétales sont déployés et font apparaître un pistil massif entouré d’une couronne d’étamines dorées. Tout au fond du calice, l’ovaire laisse déjà présager le futur citron.

Oh, oh... Il y a de la visite !... Une minuscule araignée a pris position au cœur de la fleur. Ses quatre pattes avant sont tendues, écartées, dans une position d’attaque. Je les connais ces thomises. Aucune toile, aucun piège de soie. C’est à l’affût qu’elle chasse, généralement au cœur d’une fleur. Elle attend au garde-à-vous qu’un insecte insouciant se pose pour récolter pollen ou nectar. Et crac, en un dixième de seconde la mâchoire de ses pattes emprisonne la victime, le venin est injecté et l’insecte passe de vie à trépas. Diaea dorsata aura son repas aujourd’hui. Eh oui ! La Nature est insensible, indifférente à la souffrance, à la mort.

Examinez ce tout petit être, long d’à peine cinq millimètres. Son abdomen brun doré est cerclé d’un anneau jaune. Son céphalothorax, ses pattes, ses pédipalpes et ses chélicères sont d’un superbe vert pomme du Cap, parfaitement mimétique à son support. Distinguez ses huit yeux : des points noirs cerclés d’un anneau blanc.

Je craque... En moi s’abolit l’abîme qui sépare l’humain de la toute petite araignée. C’est une sensation très bizarre, nous sommes sœurs, deux êtres vivants fruits d’une si longue évolution. Je ne ressens plus de distance entre nous. J’ai l’envie de lui dire « Que tu es belle ! Quelle merveille que tes yeux, l’agencement de tes couleurs, ton habileté à la chasse. »

Le lendemain, j’inspecte le citronnier. Je voudrais la revoir. Elle est là, presque mimétique sur une feuille, mais dès qu’elle me voit approcher, elle s’éclipse rapidement sous la feuille. Pendant quelques jours, c’est le même manège. On dirait qu’elle me craint moins. Elle ne fuit plus à mon approche. Nous serions-nous apprivoisées ? Trouve-t-elle sa pitance dans mon petit salon aux vitres closes ? Je ne peux quand même pas exposer mon arbuste au froid piquant de ce mois de février.
Un matin, j’ai beau chercher. Diaea a disparu. Il me reste sa photo et l’impression qu’un rapport plus égalitaire s’est établi entre moi et les innombrables êtres vivants qui peuplent notre petite planète, perdue dans l’immensité du Cosmos.




  Quelques précisions

Position systématique : Arachnida Araneae
Famille : Thomisidae
Nom binomial : Diaea dorsata (Fabricius 1777)
Etymologie de thomise : du lat. thomix « corde de chanvre », gr. θ ω ̃ μ ι γ ξ « corde d'arc, fil de lin ». Je n’ai pas trouvé le rapport ....Peut-être sa tendance à se jeter dans le vide par réflexe de fuite...

Les Thomisidae sont appelées "araignée crabe" car elles ont la particularité de posséder un corps élargi, les pattes I et II plus longues et plus robustes que les  pattes  III et IV (numérotation d'avant en arrière) et une prédisposition à se déplacer de côté.

C'est une espèce commune de toute l'Europe, peu visible à cause de sa petitesse de 5 à 7 mm.
Bien que totalement inoffensives pour l'homme, les Thomises sont dotées d'un venin extrêmement puissant capable d'immobiliser instantanément un insecte d'une taille supérieure à la sienne. Il est en effet vital  pour ces espèces chasseuses à vue que leur proie ne puisse se débattre ou tomber au sol.

A mon avis, le spécimen que j’ai observé (image ci-dessus avec fleur de citronnier) serait une jeune femelle.
Hélène Havaux, Guide-Nature. 31 mars 2016.






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