vendredi 29 novembre 2019

Un mariage d'arrière saison



Voyez-vous ce talus pelé ? Quelconque et sans intérêt me diriez-vous ! Sans intérêt, vraiment ?
En cette belle journée de mi-septembre, une animation inattendue règne au raz de la maigre verdure qui couvre cette pente ; de petites abeilles y mènent une danse échevelée.
Une observation plus attentive me fait remarquer une multitude d’orifices parmi les herbes. Les insectes y entrent et en sortent avec rapidité. Visiblement, chaque abeille est propriétaire d’une cavité. Pas d’hésitation, ce sont des abeilles solitaires, comme l’Osmie rousse dont je vous ai déjà entretenu dans un blog précédent. Combien sont-elles dans cette « bourgade » (c’est ainsi que les entomologistes appellent ces concentrations) ? Je l’estime à une bonne centaine.






La particularité de cette abeille est de construire son nid alors que l’automne s’annonce, que les fleurs se font plus rares et que les jours raccourcissent. Un ami très bien documenté m’en donne le nom : « LA COLLÈTE DU LIERRE ». Du Lierre ? Et pourquoi donc ? Réponse : le Lierre a la particularité de fleurir au début de l’automne et cela convient très bien à la Collète. Ensemble, ils forment une association parfaitement synchronisée.




La collète creuse une longue galerie dans le sol d’un talus bien exposé, l’idéal étant un sol mi-sablonneux, mi-argileux, y dépose ses œufs dans des cellules individuelles tapissées d’une fine couche de sa fabrication, genre cellophane. Leur nombre ne dépasse pas 20 logettes. Elle remplit chaque logette d’une bouillie faite de pollen et de nectar de Lierre et, dans une moindre mesure de quelques astéracées. Elle referme hermétiquement le berceau. La larve sera ainsi bien protégée de l’humidité hivernale et pourra se rassasier de la bouillie pendant les 10 mois que dureront son développement. Vous avez bien lu : 10 mois ! Eh oui ! La jeune abeille ne viendra au jour, à l’état d’insecte parfait, que fin juillet. Elle ne vivra que six semaines. Les mâles, nés un peu plus tôt, l’attendent fébrilement à sa première sortie du tunnel, vous devinez pourquoi... La féconder bien évidemment !
Les 6 semaines de sa courte vie seront consacrées au creusement du tunnel, à la ponte et à l’approvisionnement des réserves alimentaires pour ses larves.

 C’est ici que très opportunément intervient le Lierre. En effet, celui-ci a la particularité de fleurir en septembre, de passer l’hiver à développer des fruits qui ne mûriront qu’au printemps. Drôle d’idée de fleurir en automne, développer ses fruits à la saison froide et ne fructifier qu’au printemps ! Un peu de géologie est nécessaire pour comprendre. A l’ère tertiaire (qui prend place de 65 à 2,6 millions d’années avant notre ère) notre continent a dérivé vers le Nord. Un lent refroidissement climatique s’est opéré à partir du Paléocène (au début des 65 millions d’années). Les températures initialement tropicales aboutirent à un climat de plus en plus modéré. La fin de l’ère tertiaire se marque par la première glaciation qui ouvre la porte au début du Quaternaire. Les ancêtres de notre Lierre vivaient dans une sorte de forêt tropicale. Le climat était plutôt chaud et sec. Au fil des millénaires de refroidissement notre Lierre n’a pas changé ses habitudes. Beaucoup de plantes tropicales ont disparu, mais lui a fait de la résistance et s’est obstiné à garder son timing. Il a réussi l’incroyable exploit de traverser les millénaires tout en gardant son mode de vie apparemment aberrant.
La Collète saisira l’opportunité et butinera le nectar et le pollen sur quelques fleurs tardives dont principalement celles du Lierre. Une association d’automne.




Ou, si l’on veut, un mariage d’arrière saison!

Hélène Havaux, Guide-Nature



Je me permets d'ajouter cette photo de Sylvian.
P.




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